Guinée : Petits chefs, grandes solitudes – ou pourquoi la junte dort tranquille
26 mars 2025Il paraît que la Guinée est un pays de braves. Il paraît.
Mais à voir le ballet des opposants, des leaders en herbe et des champions du verbe creux, on se dit que la bravoure a pris congé. Ou qu’elle s’est fait la malle avec la confiance et le bon sens, direction ailleurs.
Le CNRD est là. Bien installé. Il réprime, il bavarde, il parade.
Et pendant ce temps, que font ceux qui, un jour, avaient juré de défendre la démocratie ?
Ils se regardent en coin, se suspectent, se jalousent.
L’un pense que l’autre veut le doubler, l’autre croit que le premier est déjà vendu.
Résultat ? Rien. Du bruit. Des conférences. Des communiqués qui finissent au fond d’une corbeille ou sur un statut Facebook. Et la junte rit. Elle a raison.
Chez nous, quand tu proposes de t’unir, on te soupçonne.
Quand tu veux travailler à plusieurs, on te fuit.
Et si, par miracle, tu réunis trois personnes, le premier veut être président, le second porte-parole, et le troisième… disparaît.
Tu veux lutter contre un régime militaire ?
Commence déjà par survivre à une réunion Zoom sans drame.
Mais non. Le mot "ensemble" est devenu suspect. Le mot "collectif", une menace.
On préfère être le roi d’un îlot sans habitants que soldat d’une armée qui avance.
Alors chacun fait sa résistance dans son coin.
Le "leader historique" fait la grève de la parole.
Le "nouveau visage" fait la grève de l’humilité.
Et le peuple, lui, fait la grève de l’espoir.
Pendant ce temps, le pouvoir écrase, écrase bien, et avec méthode.
Mais il n’a pas besoin de forcer. Albert Camus ne disait-il pas, dans La Chute : " Quand on n'a pas de caractère, il faut bien se donner une méthode" ? Pour assimiler, la soldatesque a bien assimilé.
L’opposition, elle, s’auto-sabote. Mieux encore : elle s’entretue à coups d’égo et de petites phrases.
Personne ne veut partager le micro. Tout le monde veut signer le chèque.
On aurait pu construire un front. Un vrai. Structuré, rigoureux, audacieux.
On aurait pu coaliser nos intelligences, nos douleurs, nos forces.
Mais on a préféré le confort des petits royaumes d’orgueil.
Alors que reste-t-il ?
Un pays pris en otage.
Des ambitions mortes-nées.
Et des leaders qui se battent plus contre leurs alliés que contre leurs geôliers.
Ce n’est pas une malédiction, non. C’est pire : c’est une habitude.
Une vieille habitude de se méfier plus de son frère que de son bourreau.
Une manie de croire que l’autre veut toujours prendre plus que donner.
Une tragédie qui se répète comme une vieille pièce de théâtre que plus personne ne veut jouer, mais qu’on continue d’applaudir par réflexe.
Le jour où les Guinéens comprendront que la vraie force, c’est l’union — pas dans les discours, mais dans l’action —, ce jour-là, même le silence de la junte tremblera.
En attendant, elle dort sur ses deux oreilles. Et nous, on s’entre-déchire pour savoir qui met son nom en premier sur l'affiche d’un combat qu’on a déjà perdu.
Alpha Bacar Guilédji
"Écrasons l’infâme"