Andrée Touré (veuve de Sékou Touré), Morissanda Kouyaté (Ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger) et Mohamed Touré à son arrivée au domicile familial.

Andrée Touré (veuve de Sékou Touré), Morissanda Kouyaté (Ministre des Affaires étrangères et des Guinéens de l'étranger) et Mohamed Touré à son arrivée au domicile familial.

La libération de Mohamed Touré et de son épouse, Denise Cros-Touré, est un événement qui dépasse largement le simple cadre judiciaire. Arrêtés aux États-Unis en 2018 et condamnés en 2019 à sept ans de prison pour avoir réduit en servitude une jeune fille guinéenne pendant plus de seize ans, ils ont finalement quitté leur détention après environ six ans et demi. Si certains ont voulu voir dans cette sortie une intervention politique, la réalité est plus pragmatique : elle s’explique par l’application stricte du droit pénal américain, notamment la règle qui permet aux détenus fédéraux de sortir après avoir purgé au moins 85 % de leur peine, combinée à l’expulsion automatique des étrangers condamnés.

 

Mais ce qui aurait pu être un épilogue judiciaire est vite devenu une scène politique soigneusement orchestrée. À son arrivée à Conakry, Mohamed Touré a été accueilli comme un homme injustement persécuté, entouré de personnalités du régime et du PDG-RDA, le parti fondé par son père, Sékou Touré. Loin d’être un retour discret après une condamnation pour un crime grave, son arrivée a été transformée en un moment de célébration par la junte au pouvoir. L’image d’un ministre des Affaires étrangères l’accueillant officiellement en dit long sur la récupération politique qui se joue ici.

 

Cette instrumentalisation n’a qu’un objectif : asseoir un peu plus le pouvoir du CNRD en s’appuyant sur une frange nostalgique du régime de Sékou Touré. Dans un contexte où la contestation grandit contre la gestion de la transition, l’événement est une aubaine pour détourner l’attention des vrais problèmes du pays et consolider des alliances politiques. Peu importe les faits reprochés à Mohamed Touré, peu importe que sa condamnation ait reposé sur des preuves solides, le récit qu’on cherche à imposer est celui d’un homme victime d’une injustice, un fils du pays qui revient triomphant.

 

Or, ce récit est une insulte à la véritable victime de cette affaire. On oublie trop vite que cette jeune fille, arrachée à son enfance, a passé seize ans de sa vie à travailler sans salaire, sans éducation, subissant humiliations et violences. Elle n’a eu aucun droit, aucun recours, et ce n’est qu’en réussissant à fuir qu’elle a enfin pu obtenir justice. Mais dans toute cette mise en scène du retour de Mohamed Touré, elle est la grande absente. Son histoire est effacée, balayée d’un revers de main par une société qui préfère glorifier un condamné plutôt que de s’interroger sur un problème bien plus profond.

 

Car au-delà du cas particulier de Mohamed Touré, cette affaire met en lumière une réalité sociale que beaucoup refusent de voir : l’exploitation domestique des enfants est une pratique encore répandue en Guinée et dans bien d’autres pays africains. Sous couvert d’« entraide familiale », des milliers d’enfants sont placés dans des familles qui promettent de les éduquer mais les réduisent en fait à l’état de domestiques, sans droits ni protection. Ce fléau est toléré, banalisé, intégré à un système où les plus pauvres n’ont d’autre choix que de céder leurs enfants dans l’espoir qu’ils aient une vie meilleure, sans jamais avoir la garantie que ce sera le cas.

 

Le scandale dans cette affaire n’est pas que Mohamed Touré ait été condamné et expulsé des États-Unis. Le scandale, c’est que son retour soit célébré, que son crime soit minimisé et que l’on refuse de voir ce qu’il symbolise : un système où les plus vulnérables sont exploités en toute impunité. Plutôt que de se réjouir de son retour, la Guinée aurait dû prendre cette affaire comme une opportunité pour ouvrir un débat sérieux sur la protection des enfants contre l’exploitation domestique. Mais au lieu de cela, l’État cautionne une forme de glorification qui envoie un message terrible : l’impunité est acceptable tant qu’elle profite aux bonnes personnes.

 

La libération de Mohamed Touré aurait pu être un rappel de l’importance de la justice et de la protection des plus faibles. Elle est devenue un instrument de manipulation politique, un nouvel épisode où le pouvoir se sert de l’histoire pour mieux asseoir son contrôle. Pendant ce temps, la vraie question demeure : que faisons-nous pour éviter que d’autres enfants subissent le même sort que cette jeune fille ? Tant que cette question restera sans réponse, nous continuerons d’entretenir un système qui sacrifie les plus fragiles pour préserver les privilèges des puissants.

 

Alpha Bacar Guilédji 

"Écrasons l’infâme"

Retour à l'accueil