La Guinée, un Enfer sans fin ou un Paradis à construire ?
12 févr. 2025Lorsque le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt
L’enfer guinéen est un cycle sans fin, une roue infernale où chaque tournant semble ramener le pays aux mêmes abîmes. À chaque époque, un homme surgit, paré d’idéaux, le verbe haut et le regard droit, promettant de briser les chaînes de la tyrannie. Et pourtant, chaque aube révolutionnaire finit par ressembler au crépuscule du régime précédent. L’histoire se répète, non pas comme une farce, mais comme une malédiction que nul ne semble capable de conjurer.
Cet enfer est d’abord celui de Dante Alighieri, un espace structuré où chaque dirigeant creuse sa place, bâtissant son royaume de répression et de peur. Les geôles se remplissent, les cris résonnent dans les rues désertées par l’espoir, et le peuple, pris au piège, oscille entre résignation et colère impuissante. Comme dans L'Enfer de La Divine Comédie (Dante Alighieri, 1321), les damnés de la Guinée ne connaissent aucun répit : ils sont jetés de prison en exil, de l’exil en disgrâce, de la disgrâce en oubli. Les mêmes figures ressurgissent, hier persécutées, aujourd’hui bourreaux. La roue tourne, mais le cercle reste fermé.
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_f35ce1_1000065429.jpg)
Dante décrit ainsi les âmes perdues qui errent éternellement dans l’Enfer :
Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance.
C’est la même sentence qui semble peser sur la Guinée, où chaque transition est une promesse trahie, un espoir avorté.
Mais l’enfer guinéen est aussi celui de John Milton, un royaume de révolte vaine, où le pouvoir n’est qu’une illusion, une fumée qui s’épaissit dans la nuit des ambitions déçues. Chaque renversement de régime est une énième insurrection de Satan contre le ciel, un cri de défi lancé aux hauteurs, suivi d’une chute inévitable. Les nouveaux maîtres se croient affranchis des erreurs du passé, persuadés d’échapper à la fatalité. Pourtant, comme Lucifer construisant Pandémonium dans un royaume de cendres dans Le Paradis perdu (John Milton, 1667), ils finissent toujours par édifier des palais sur du vide, gouvernant un enfer qu’ils avaient juré d’abolir.
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_c6c633_1000065425.jpg)
John Milton donne à Satan ces mots devenus célèbres :
L’esprit est son propre lieu, et en soi peut faire un Enfer du Paradis, un Paradis de l’Enfer.
Ainsi, chaque putschiste arrivé au pouvoir en Guinée croit pouvoir transformer l’enfer en paradis, mais finit toujours par renforcer la structure même de sa damnation.
Et puis, il y a l’enfer intime, celui que Dostoïevski a si bien décrit, où la souffrance ne vient pas seulement des autres ou du monde extérieur, mais de l’impossibilité d’aimer. Dans Les Frères Karamazov (Fiodor Dostoïevski, 1880), il écrit :
L’enfer, c’est la souffrance de ne plus pouvoir aimer.
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_2f43c3_1000065446.jpg)
C’est peut-être là que réside la pire damnation de la Guinée : la destruction du lien entre ses citoyens, la suspicion permanente, la haine entretenue par des décennies de divisions ethniques, politiques et sociales. L’enfer guinéen n’est pas seulement une oppression exercée d’en haut, c’est aussi une fracture qui s’étend entre les hommes, une défiance qui s’installe dans chaque cœur. Le pays, pris entre des pouvoirs qui broient et un peuple qui peine à s’unir, sombre dans cette solitude collective où chacun se méfie de l’autre, où l’amour du bien commun semble une utopie lointaine.
Et enfin, il y a l’enfer de Jean-Paul Sartre, celui qui ne vient ni de Dieu, ni de Satan, ni d’une quelconque justice divine, mais des hommes eux-mêmes. Dans Huis Clos (Jean-Paul Sartre, 1944), il assène :
L’enfer, c’est les autres.
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_b65fdc_1000065447.jpg)
Non pas que les autres soient des bourreaux par nature, mais parce qu’ils sont le miroir de nos contradictions, de nos faiblesses, de nos renoncements. En Guinée, cet enfer-là est omniprésent : chacun est enfermé dans le regard de l’autre, pris au piège des identités figées, des rancœurs accumulées, des cicatrices jamais refermées. L’ennemi, ce n’est jamais le système dans son ensemble, mais toujours l’autre communauté, l’autre parti, l’autre clan. Et tant que cette vision perdurera, tant que les Guinéens ne verront pas en l’autre un compatriote avant d’y voir un adversaire, l’enfer continuera.
Peut-on briser cette malédiction ? Peut-on imaginer un autre avenir ?
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_1a554b_1000065449.jpg)
Ibn Khaldoun, dans Al-Muqaddima (1377), analyse la montée et la chute des civilisations :
Les dynasties naissent dans la rudesse, croissent dans la force, s’épanouissent dans la richesse, puis sombrent dans la mollesse et la corruption.
La Guinée est-elle condamnée à ce cycle inexorable, ou peut-elle renaître en retrouvant les valeurs qui fondent une nation ?
Al-Mutanabbi, grand poète arabe du Xe siècle, met en garde contre l’illusion du pouvoir et la soumission :
Si du lion tu vois les dents
Ne crois pas qu'il sourit.
Chaque régime guinéen commence par se montrer conciliant, apaisant, promettant de rompre avec la brutalité du passé. Puis, peu à peu, les crocs apparaissent. La répression se durcit, les libertés se restreignent, l’État devient un instrument de coercition. Et chaque fois, le peuple se rend compte trop tard qu’il s’est laissé prendre au piège.
Al-Ma’arri, poète et philosophe du XIe siècle, écrit dans L'Épître du Pardon :
Les hommes marchent dans l’ombre de leurs illusions, et rares sont ceux qui voient la lumière.
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_5b4cf9_1000065435.jpg)
La Guinée est prisonnière de ses mythes : celui du leader providentiel, celui du changement qui viendrait d’en haut, celui de la fatalité qui empêche d’agir. Tant que ces illusions domineront, rien ne changera.
Frantz Fanon, dans Les Damnés de la Terre (1961), écrivait :
Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.
Les jeunes Guinéens veulent-ils être ceux qui trahiront encore une fois l’espoir, ou ceux qui bâtiront enfin quelque chose de nouveau ?
/image%2F6900596%2F20250212%2Fob_0da799_1000065450.jpg)
Si l’on suit Dante Alighieri, la sortie de l’Enfer ne se fait pas en un jour. Il faut traverser chaque cercle, affronter chaque démon, comprendre chaque faute pour s’élever vers la lumière.
Si l’on suit John Milton, l’Enfer est un état d’esprit : il ne suffit pas de changer de maître, il faut changer de vision du monde.
Si l’on suit Fiodor Dostoïevski, l’Enfer se dissipe quand les hommes recommencent à croire en eux-mêmes et en leur capacité à bâtir ensemble.
Si l’on suit Ibn Khaldoun, toute société peut renaître, à condition de retrouver la force de ses fondations.
Si l’on suit Jean-Paul Sartre et Frantz Fanon, rien ne changera sans engagement, sans action, sans lutte.
Alors, la Guinée choisira-t-elle de continuer à errer dans son Enfer, ou aura-t-elle enfin le courage de bâtir son propre Paradis ?
Tout dépendra de sa capacité à tirer les leçons de son histoire et à comprendre que le véritable changement ne viendra pas d’un homme, mais d’une prise de conscience collective.
Alpha Bacar Guilédji
"Écrasons l'infâme"