Le poids du silence

 

Il y eut un temps où l’information passait en contrebande. Des pages de journaux roulées dans les poches, des articles murmurés à l’ombre des manguiers, des vérités passées de main en main, de bouche à oreille.

 

C’était le temps où la presse privée n’existait que dans l’informel, où la parole était un acte de résistance, où chaque phrase écrite était un défi lancé au pouvoir.

 

Puis vint l’ère des premiers éclats. Le Lynx, L’Indépendant, La Lance, Le Démocrate. Les kiosques se garnirent de titres nouveaux, des plumes intrépides racontèrent ce que le pouvoir aurait voulu taire.

 

On découvrit qu’il était possible d’écrire sans demander la permission.

 

Les salles de rédaction devinrent des laboratoires d’audace.

 

Les premiers micros indépendants se dressèrent face aux ondes d’État. Sabari FM, Nostalgie, Espace FM. Les voix s’élevèrent, d’abord timides, puis de plus en plus sûres d’elles-mêmes.

 

On crut que ce pays avait rompu avec ses vieux démons.

 

On crut que plus jamais la parole ne serait confisquée.

 

Le retour des ténèbres

 

Puis, un matin, le silence tomba.

 

D’abord, ce furent des radios brouillées.

Ensuite, des fréquences suspendues.

Enfin, des portes closes, des studios vides, des micros arrachés.

 

Dans les rues de Conakry, on chercha les voix familières, on régla les postes, on tourna les boutons.

Rien.

Juste une fréquence morte, une onde sans vie, un vide sonore.

 

Espace FM, FIM FM, Djoma FM.

Trois radios parmi les plus écoutées du pays, mises sous silence, effacées d’un trait d’autorité.

 

On n’expliqua rien.

On imposa tout.

 

Les bourreaux de la presse

 

Il fallait des visages à cette trahison.

 

Il y eut la HAC, cette institution qui jadis fut un rempart, aujourd’hui transformée en guillotine.

 

Il y eut Aboubacar Yacine Diallo, cet homme qui aurait dû défendre la presse et qui, au lieu de cela, scelle son sort.

 

Il y eut Fana Soumah, ministre de l’Information, ancien lecteur du JT, devenu lecteur d’ordres répressifs.

 

Il fallait une phrase pour résumer cette abdication.

 

Il la prononça sans trembler :

Quand l’État veut te faire taire, il te fera taire, tu ne peux rien.

Fana Soumah, Ministre de l'information et de la communication du CNRD

Non pas une menace, mais un constat.

 

L’État décide, le journaliste se tait.

 

Fana Soumah, lui qui n’a jamais affronté la censure, qui n’a jamais connu la prison pour un article, qui n’a jamais défié le pouvoir autrement qu’en suivant son fil conducteur, se fit le messager de l’oppression.

 

Il n’avait pas à justifier.

Il n’avait pas à convaincre.

Il avait juste à exécuter.

 

Et c’est ce qu’il fit.

 

L’étrange silence de Bah Oury

 

Il y a des silences qui résonnent plus fort que des déclarations.

 

Celui de Bah Oury en est un.

 

L’homme qui, jadis, portait les idéaux des droits humains, qui fustigeait les dérives des régimes passés, qui dénonçait chaque atteinte aux libertés, regarde aujourd’hui les médias tomber, sans un mot, sans une protestation.

 

Son regard se détourne,

Ses mains restent jointes,

Sa voix reste muette.

 

Qu’a-t-il à perdre ?

 

Ou plutôt, qu’a-t-il gagné à ne plus voir ce qui se passe sous ses yeux ?

 

Un fauteuil de Premier ministre vaut-il toutes ces années de combat ?

 

Le poids du silence est parfois plus accablant que le poids des mots.

 

L’illusion du pouvoir

 

Le CNRD croit qu’en éteignant les radios, il éteindra la colère.

Il croit qu’en fermant les journaux, il effacera les questions.

Il croit qu’en traquant les journalistes, il détiendra la vérité.

 

Mais c’est une illusion, un mirage, un mensonge que l’Histoire a déjà démenti mille fois.

 

On peut fermer des radios, mais on n’éteint pas les murmures.

On peut chasser des journalistes, mais on n’arrête pas l’information.

On peut réprimer la presse, mais on ne bâillonne pas une société entière.

 

Ce n’est pas en supprimant les voix critiques que l’on gouverne mieux.

Ce n’est pas en contrôlant les mots que l’on dompte la réalité.

 

Ceux qui ont cru que le silence était leur allié ont toujours découvert, trop tard, qu’il était leur pire ennemi.

 

Quand viendra l’heure des comptes

 

Ils pensent que l’oubli viendra effacer leurs actes.

Ils pensent que la répression assurera leur impunité.

Ils pensent que le silence est une fin en soi.

 

Mais l’Histoire n’oublie jamais.

 

Un jour viendra où les studios s’ouvriront de nouveau, où les fréquences brisées résonneront à nouveau, où les pages interdites seront imprimées à l’infini.

 

Et ce jour-là, les noms des fossoyeurs de la presse seront inscrits en lettres sombres dans la mémoire collective.

 

Ce jour-là, le vent emportera ceux qui ont cru pouvoir confisquer la parole.

 

Parce que la vérité finit toujours par triompher de ceux qui ont voulu l’enterrer.

 

Alpha Bacar Guilédji 

"Écrasons l'infâme"

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