Carte d’identité gratuite en Guinée : une avancée ou une stratégie électorale masquée ?

Le décret D2025/021/PRG/CNRD/SGG, signé par le Général Mamadi Doumbouya le 2 février 2025, officialise la gratuité de la carte d’identité biométrique en Guinée. Si l’on devait s’arrêter à cette annonce, on pourrait croire à un progrès social incontestable, une volonté de l’État d’assurer l’inclusion administrative et citoyenne. Mais en Guinée, toute réforme qui touche à l’état civil et à l’identification des citoyens doit être examinée avec un regard critique, car elle est rarement déconnectée des enjeux politiques et électoraux.

 

Une gratuité qui repose sur un système controversé

 

En théorie, rendre la carte d’identité gratuite permet de faciliter l’accès des citoyens à leurs droits fondamentaux. Mais une question essentielle se pose : qui contrôle le processus de délivrance et d’enregistrement des citoyens ?

 

Cette carte dépend directement du Recensement Administratif à Vocation d'État Civil (RAVEC), géré par le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD). Or, l’histoire politique récente du pays nous rappelle à quel point l’état civil et les listes électorales ont été utilisés comme des instruments de manipulation politique.

 

L’administration guinéenne a toujours été un levier entre les mains du pouvoir. Ceux qui la contrôlent peuvent retarder l’obtention des documents pour certaines populations, favoriser certains groupes électoraux, et in fine, conditionner l’équilibre du scrutin. Cette gratuité ne devient donc une avancée que si elle s’accompagne de garanties de neutralité et de transparence dans la gestion du RAVEC.

 

Un contexte électoral sous haute tension

 

Si cette annonce intervient aujourd’hui, ce n’est pas anodin. La Guinée est censée organiser des élections en 2025, mettant fin à la transition militaire. Mais cette échéance est floue.

 

Le 31 décembre 2024, Mamadi Doumbouya affirmait que 2025 serait une année électorale. Pourtant, quelques semaines plus tard, Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement, déclarait que toutes les élections ne pourront pas se tenir en 2025. Cette contradiction en dit long sur l’incertitude qui entoure le processus électoral.

 

Dans ce climat de flou institutionnel, la gestion du fichier électoral est un enjeu déterminant. En Guinée, nous savons pertinemment que les élections ne se jouent pas uniquement dans les urnes, mais bien en amont, dans la composition des listes électorales.

 

Si la carte d’identité gratuite est distribuée de manière sélective, si certaines zones ou certains citoyens rencontrent des obstacles administratifs pour l’obtenir, alors nous assisterons à une ingénierie électorale sous couvert d’une réforme administrative.

 

Des précédents inquiétants dans la gestion du fichier électoral

 

Les élections en Guinée ont toujours été marquées par des anomalies sur les listes électorales. L’audit de 2019-2020, mené par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), avait révélé 2,4 millions d’électeurs litigieux, un chiffre qui montre à quel point les manipulations administratives peuvent influencer le résultat d’un scrutin.

 

Aujourd’hui, en reliant le RAVEC au fichier électoral, nous devons nous interroger :

• Tous les citoyens auront-ils accès à cette carte dans des délais raisonnables ?

• Le fichier électoral sera-t-il établi de manière transparente et indépendante ?

• La CENI aura-t-elle une véritable autonomie, ou restera-t-elle dépendante des données fournies par le MATD ?

 

Si ces questions ne trouvent pas de réponses claires, alors cette réforme pourrait être une opportunité manquée pour la démocratie guinéenne.

 

Le risque d’une privatisation du processus et d’une gestion opaque

 

Autre élément troublant : la gestion des données biométriques. L’introduction de la carte d’identité biométrique repose sur des infrastructures technologiques complexes, qui nécessitent souvent l’intervention de prestataires privés.

Si une entreprise privée est mandatée pour gérer la production et la distribution des cartes, il est légitime de s’interroger sur :

• L’indépendance de ce prestataire face aux autorités en place.

• La sécurisation des données biométriques des citoyens.

• La possibilité d’une exploitation des informations à des fins partisanes.

 

Ces préoccupations ne sont pas théoriques. Dans d’autres pays africains, les bases de données biométriques ont été utilisées pour exclure certains citoyens des scrutins ou favoriser des fraudes massives.

 

Des garanties nécessaires pour éviter un détournement électoral

 

Face à ces risques, plusieurs mesures s’imposent pour que cette réforme ne devienne pas un instrument de manipulation électorale :

 

1. Un audit indépendant du RAVEC : supervisé par des experts nationaux et internationaux.

2. Une supervision multipartite : avec une implication de la société civile et des observateurs indépendants.

3. La publication transparente des listes des citoyens enregistrés : pour éviter les exclusions arbitraires.

4. Un engagement clair sur l’organisation des élections en 2025, avec un calendrier électoral précis et contraignant.

 

Si ces garanties ne sont pas mises en place, alors la gratuité de la carte d’identité pourrait se révéler être une illusion démocratique.

 

Un cadeau à double tranchant

 

Sur le papier, rendre la carte d’identité gratuite est une mesure de bon sens, qui pourrait permettre à des milliers de Guinéens d’accéder à des droits élémentaires. Mais dans un pays où l’administration est historiquement utilisée comme une arme politique, il est difficile de ne pas voir dans cette réforme une manœuvre aux implications profondes.

 

Si cette carte devient un outil de sélection électorale, alors nous assisterons à un détournement organisé du processus démocratique. Si, en revanche, elle est véritablement un outil de facilitation et d’inclusion, alors elle pourra être considérée comme une avancée majeure pour la Guinée.

 

Le problème, c’est que les signaux envoyés par la junte ne rassurent pas. L’absence de transparence sur le fichier électoral, le flou autour du calendrier électoral, la contradiction dans les annonces gouvernementales sont autant d’indices qui montrent qu’un verrouillage progressif du processus est en cours.

 

Je considère donc que cette réforme doit être surveillée de près. Car en Guinée, les réformes administratives cachent souvent des stratégies politiques bien plus complexes.

 

2025 : année électorale ou transition prolongée ?

 

Au-delà de la carte d’identité gratuite, la véritable question est celle-ci : la Guinée va-t-elle véritablement renouer avec l’ordre constitutionnel en 2025 ?

 

Ou bien assistons-nous à un réaménagement du pouvoir sous couvert de réformes techniques ?

 

Seul l’avenir nous le dira. Mais une chose est sûre : la vigilance citoyenne sera plus que jamais nécessaire.

 

Alpha Bacar Guilédji 

"Écrasons l'infâme"

 

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