Compte rendu de lecture : La Ferme des animaux de George Orwell
21 janv. 2025L'auteur
George Orwell, de son vrai nom Eric Arthur Blair, est né le 25 juin 1903 à Motihari, en Inde britannique, et est décédé le 21 janvier 1950 à Londres. Écrivain, essayiste et journaliste britannique, il est principalement connu pour ses œuvres majeures, La Ferme des animaux (1945) et 1984 (1949), qui sont devenues des références incontournables dans la littérature dystopique et politique.
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Issu d'une famille de la classe moyenne anglaise, Orwell a été éduqué en Angleterre, notamment au prestigieux collège d’Eton. Après ses études, il a intégré la Police impériale indienne en Birmanie, une expérience qui a nourri sa critique de l’impérialisme britannique et inspiré son premier roman, Une histoire birmane (1934). De retour en Europe, il a connu une période de grande précarité, vivant successivement à Paris et à Londres. Cette expérience de la misère lui a inspiré Dans la dèche à Paris et à Londres (1933), une plongée dans le quotidien des marginaux et des laissés-pour-compte.
Les éditions françaises de La Ferme des animaux
Publié en 1945 en Angleterre, La Ferme des animaux a connu sa première traduction française en 1947. Cette édition, réalisée par Jean Queval, a été publiée aux Éditions Charles Sagot, permettant au lectorat francophone de découvrir cette satire politique qui dénonce la dérive totalitaire du stalinisme. Depuis cette première publication, le roman a connu de nombreuses rééditions en France.
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Les Éditions Gallimard, maison majeure dans la diffusion des œuvres d’Orwell, ont publié plusieurs versions de La Ferme des animaux, notamment dans leur collection L’Imaginaire, puis dans Folio, avec une traduction modernisée de Philippe Jaworski en 2021. Cette nouvelle traduction visait à rendre plus fidèlement la force du texte original et sa portée satirique.
Les Éditions Flammarion ont également proposé leur propre édition, avec une approche centrée sur l’analyse du roman dans son contexte historique et politique.
Les Éditions Hatier, spécialisées dans l’édition scolaire, ont intégré La Ferme des animaux à leur catalogue en y ajoutant des compléments pédagogiques. Cette version est particulièrement destinée aux élèves et enseignants, facilitant l’étude du roman dans les classes de collège et de lycée.
D’autres maisons d’édition, comme Le Livre de Poche, Libretto ou encore GF-Flammarion, ont publié différentes éditions du roman, parfois accompagnées de préfaces et d’analyses critiques approfondies.
L’histoire éditoriale de La Ferme des animaux en France témoigne de l’impact durable de cette fable politique. Toujours réédité, enseigné et analysé, ce roman continue d’éclairer les mécanismes de la tyrannie et de la manipulation des masses, confirmant l’intemporalité de la pensée d’Orwell.
Résumé du roman
Chapitre I – Le rêve de la révolution
Dans la ferme du Manoir, sous la propriété de Mr. Jones, les animaux vivent une existence de labeur et de privation. Une nuit, après que Jones s’est endormi, un cochon vénérable, Sage l’Ancien, réunit tous les animaux dans la grange pour leur délivrer un message important. Parmi les présents figurent Malabar et Douce, les chevaux de trait, Benjamin l’âne, Lubie la jument frivole, la chatte sournoise, ainsi que les chiens Filou, Fleur et Constance.
Sage l’Ancien partage avec eux une vision qu’il a eue en rêve : un monde où les animaux seraient libres, affranchis du joug des humains. Il désigne l’homme comme l’ennemi commun, expliquant qu’il exploite les animaux sans rien leur donner en retour :
L’homme est notre seul véritable ennemi. Supprimez l’homme et la cause première de notre misère et de notre servitude sera supprimée à jamais.
Il exhorte alors les animaux à se révolter, à s’unir pour mettre fin à cette oppression. Pour renforcer cette idée, il leur enseigne un chant révolutionnaire, Bêtes d’Angleterre, qui célèbre un avenir où les animaux vivront libres et prospères. L’enthousiasme est tel que les animaux se mettent à chanter en chœur, réveillant Mr. Jones, qui tire un coup de fusil pour faire cesser le vacarme. Les animaux se dispersent rapidement et retournent dormir, le cœur empli d’espoir et d’appréhension.
Chapitre II – La révolution et l’animalisme
Trois jours plus tard, Sage l’Ancien meurt dans son sommeil, laissant derrière lui un idéal que les cochons les plus intelligents décident de concrétiser. Parmi eux, Napoléon, Boule de Neige et Brille-Babil développent un système philosophique qu’ils appellent l’animalisme. Ils le prêchent aux autres animaux, bien que certains restent sceptiques, notamment Moïse le corbeau, qui parle de la Montagne de Sucrandi, un paradis où les animaux trouveraient le repos après leur mort.
Un jour, la négligence de Jones précipite la révolution. Trop absorbé par l’alcool, il oublie de nourrir les animaux. Affamés, ceux-ci se rebellent, chassent les fermiers et prennent le contrôle de la ferme. La victoire est totale. Enthousiasmés, les animaux détruisent tout ce qui rappelle leur ancien maître et adoptent de nouveaux principes pour régir leur société.
Les cochons, plus instruits, rédigent les sept commandements de l’Animalisme, qui sont peints sur le mur de la grange :
1. Tout ce qui est sur deux jambes est un ennemi.
2. Tout ce qui est sur quatre jambes ou a des ailes est un ami.
3. Nul animal ne portera de vêtements.
4. Nul animal ne dormira dans un lit.
5. Nul animal ne boira d’alcool.
6. Nul animal ne tuera un autre animal.
7. Tous les animaux sont égaux.
Enfin, la ferme est rebaptisée Ferme des animaux. Pourtant, un premier signe d’injustice apparaît : le lait trait des vaches disparaît mystérieusement, réservé en secret aux cochons.
Chapitre III – L’organisation du nouveau régime
Les premiers mois de la ferme autogérée sont marqués par une grande prospérité. Tous les animaux travaillent dur, et la récolte est plus abondante que jamais. Les cochons supervisent le travail, tandis que les autres s’affairent aux tâches physiques. Boule de Neige lance des programmes éducatifs pour apprendre à lire et écrire aux animaux, bien que certains aient plus de mal que d’autres.
Napoléon, lui, s’intéresse davantage à la formation des jeunes et prend en charge l’éducation des chiots, qu’il élève à l’écart des autres.
Peu à peu, des inégalités émergent. Alors que les cochons s’octroient certains privilèges, notamment l’exclusivité du lait et des pommes, Brille-Babil les justifie en affirmant :
Vous n’allez tout de même pas croire, camarades, que nous, les cochons, agissons par égoïsme ! Nous faisons cela pour votre bien, car nous avons besoin de ces aliments pour notre cerveau. Si nous, cochons, venions à faillir dans notre tâche, Jones reviendrait !
Les animaux, bien que surpris, finissent par accepter cet argument, de peur du retour de l’ancien maître.
Chapitre IV – La contre-attaque de Jones et la bataille de l’étable
L’influence de la Ferme des Animaux s’étend aux fermes voisines, et les hommes redoutent une contagion révolutionnaire. Jones, accompagné de Mr. Pilkington et Mr. Frederick, lance une offensive pour reprendre sa ferme. Mais Boule de Neige a préparé une défense organisée, inspirée des tactiques militaires de César.
Au cours de la Bataille de l’étable, les animaux résistent avec bravoure. Boule de Neige charge en tête et est blessé, mais les animaux finissent par repousser l’attaque, tuant un mouton dans le processus.
En guise de célébration, ils instaurent une médaille militaire : Héros Animal, Première Classe, décernée à Boule de Neige et à Malabar. Le fusil de Jones, laissé sur place, est récupéré et sera tiré deux fois par an pour commémorer la victoire.
Chapitre V – La rivalité entre Napoléon et Boule de Neige
L’hiver s’installe, et les tensions entre Napoléon et Boule de Neige s’intensifient. Boule de Neige rêve d’améliorer la ferme et propose un projet ambitieux : la construction d’un moulin à vent pour générer de l’électricité et alléger le travail des animaux. Napoléon s’y oppose farouchement, ridiculisant cette idée.
Lorsque le vote pour la construction du moulin approche, Napoléon lâche neuf molosses féroces – les chiots qu’il a secrètement élevés – pour attaquer Boule de Neige. Celui-ci parvient à s’échapper de justesse et disparaît, devenant un ennemi du régime.
Napoléon abolit immédiatement les assemblées démocratiques et instaure un pouvoir autoritaire. Il annonce ensuite que le moulin à vent, projet auquel il s’opposait, sera finalement construit. Désormais, toute décision passera par lui, et toute contestation est balayée par la peur des chiens.
Chapitre VI – Le durcissement du régime
Sous le règne de Napoléon, le travail devient plus ardu. Le moulin est en construction, nécessitant des efforts immenses. Napoléon décide d’établir des relations commerciales avec les humains, ce qui trouble les animaux, mais Brille-Babil les rassure en minimisant l’importance de ce changement.
Peu à peu, les cochons emménagent dans la maison de Jones et commencent à dormir dans des lits. Lorsque les animaux s’inquiètent, Brille-Babil les convainc que leur mémoire leur joue des tours et qu’aucune règle ne l’interdisait explicitement. Effectivement, une relecture des commandements révèle une modification subtile :
Nul animal ne dormira dans un lit... avec des draps.
Un soir, une violente tempête détruit le moulin, mais Napoléon accuse Boule de Neige d’en être responsable et promet des représailles.
Conclusion partielle
À travers ces six premiers chapitres, Orwell met en place la montée en puissance de Napoléon et la transformation progressive de la révolution en dictature. À chaque étape, des mécanismes de manipulation, de répression et de réécriture de l’histoire apparaissent. Le récit illustre comment les idéaux révolutionnaires sont souvent détournés par des dirigeants ambitieux qui transforment leur quête de justice en tyrannie.
Dans les prochains chapitres, la répression s’intensifiera, et la ferme plongera dans une spirale de violence et de mensonge, rappelant les dérives totalitaires observées tout au long de l’histoire.
Chapitre VII – La terreur et la propagande
L’hiver s’installe, et avec lui, la faim et la souffrance des animaux. Malgré les privations, Napoléon refuse que la vérité soit connue au-delà des limites de la ferme. Pour maintenir l’illusion d’une prospérité inébranlable, Brille-Babil est chargé de tromper Mr Whymper, l’intermédiaire humain, en lui faisant visiter des mangeoires savamment disposées. Sous une fine couche de grain, du sable est entassé, donnant l’illusion de réserves abondantes.
Pour combler les pénuries, Napoléon ordonne que les œufs des poules soient vendus. Celles-ci protestent, mais leur opposition est brisée par un embargo cruel : elles sont privées de nourriture jusqu’à ce qu’elles cèdent. Cinq d’entre elles succombent à la faim, et leur révolte est écrasée dans l’indifférence générale.
Peu après, Napoléon orchestre une vague de purges sans précédent. Rassemblant les animaux sur la grande place, il fait surgir ses chiens, qui traînent devant lui plusieurs cochons et d’autres animaux accusés de trahison. Sous la menace, ces derniers confessent des crimes imaginaires et sont immédiatement exécutés. La scène glaçante plonge la ferme dans la terreur et le silence.
Dans cette atmosphère oppressante, Douce, la jument douce et bienveillante, fredonne Bêtes d’Angleterre, cherchant un réconfort dans l’hymne révolutionnaire. Napoléon, percevant cette chanson comme une menace pour son autorité, en décrète l’interdiction.
Chapitre VIII – La consolidation du régime et la guerre
Les animaux redoublent d’efforts, accablés par une charge de travail toujours plus intense, tandis que les cochons et les chiens continuent de jouir de privilèges. Napoléon se fait rare, apparaissant uniquement sous les acclamations orchestrées de ses partisans. Son culte s’amplifie : les animaux doivent désormais réciter des slogans tels que « Napoléon a toujours raison. »
Le moulin, projet tant vanté, est enfin achevé, suscitant la fierté des animaux. Mais à peine le travail accompli, Napoléon vend du bois à Frederick, l’un des fermiers voisins. Celui-ci paie avec de faux billets, et la supercherie ne tarde pas à être découverte. Furieux, Napoléon jure vengeance et annonce que Frederick est désormais l’ennemi de la ferme.
Bientôt, les hommes passent à l’attaque. Frederick et ses ouvriers envahissent la ferme, armés et déterminés. Malgré la résistance héroïque des animaux, les hommes parviennent à dynamiter le moulin, détruisant en quelques instants ce qui avait nécessité des mois de labeur.
Les combats s’intensifient, mais, à force de ténacité, les animaux parviennent à repousser l’ennemi. Alors que leurs blessures et les ruines du moulin témoignent de leur souffrance, Napoléon transforme cette tragédie en triomphe. Une grande cérémonie est organisée pour célébrer la victoire. Tandis que les animaux reprennent leur travail dans un épuisement total, les cochons festoient, savourant un whisky qu’ils viennent de découvrir.
Chapitre IX – L’exploitation des travailleurs et la mort de Malabar
Malgré ses blessures et son âge avancé, Malabar poursuit son travail sans relâche. Chaque jour, il se répète les mêmes mots :
« Je vais travailler plus dur. »
L’hiver est particulièrement rigoureux, et la nourriture se fait plus rare que jamais. Pourtant, dans l’isolement du manoir, les cochons ne manquent de rien. Leur mode de vie s’embourgeoise encore davantage, tandis que les autres animaux doivent se contenter de discours rassurants de Brille-Babil, qui ne cessent de clamer que tout va pour le mieux.
Au printemps, Napoléon est proclamé président de la ferme, sans qu’aucun autre candidat ne soit proposé. Le régime se mue en dictature absolue.
Un jour, Malabar s’effondre en pleine tâche. Sa force légendaire l’abandonne enfin. Napoléon assure à tous qu’il recevra des soins appropriés et envoie un fourgon le chercher. Mais lorsque Benjamin, l’âne cynique, s’approche du véhicule, il lit avec effroi l’inscription sur le côté : « Alfred Simmonds, équarrisseur et fabricant de colle. »
Pris d’une panique soudaine, les animaux tentent de stopper le départ du fourgon, mais il est trop tard. Trois jours plus tard, Brille-Babil annonce que Malabar est mort à l’hôpital après avoir reçu les meilleurs soins possibles. Son récit est ponctué de détails touchants, persuadant la plupart des animaux qu’il a connu une fin paisible.
Pourtant, la réalité éclate peu après lorsque les cochons organisent un banquet fastueux. Une nouvelle livraison de whisky est arrivée, financée par la vente de Malabar.
Chapitre X – L’assimilation totale aux anciens oppresseurs
Les années s’écoulent, et la mémoire des temps anciens s’efface progressivement. Les jeunes animaux, n’ayant connu que le régime de Napoléon, acceptent leur condition sans la remettre en question. La ferme semble prospérer, mais seuls les cochons et les chiens en tirent profit.
Un soir, un événement stupéfiant bouleverse les derniers animaux qui se souviennent encore de la révolution : les cochons apparaissent en marchant sur deux pattes. L’inconcevable s’est produit. Les moutons, entraînés par Brille-Babil, bêlent un nouveau slogan :
« Quatre pattes, bon ! Deux pattes, mieux ! »
Les sept commandements, autrefois gravés sur le mur, ont disparu. À leur place, une seule phrase subsiste :
Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres.
Les cochons, désormais indissociables des hommes, adoptent leurs habitudes, leurs vêtements, leur langage. Un jour, Napoléon invite les fermiers voisins à un grand banquet. Pilkington, l’un d’eux, salue la rigueur avec laquelle Napoléon dirige sa ferme, le félicitant pour sa discipline et sa capacité à maintenir les animaux en soumission.
Alors que les festivités battent leur plein, les autres animaux, observant discrètement la scène depuis l’extérieur, assistent à un spectacle déroutant. Les visages des cochons et des hommes se confondent progressivement, jusqu’à devenir impossibles à différencier. La révolution a bouclé son cycle : la ferme est redevenue exactement ce qu’elle était sous Jones, mais avec de nouveaux maîtres qui, jadis, prétendaient être des libérateurs.
Conclusion
La Ferme des Animaux est une allégorie puissante de la dérive des révolutions vers le totalitarisme. À travers l’ascension et la corruption de Napoléon, Orwell décrit la montée du stalinisme et la trahison des idéaux révolutionnaires.
Le roman met en lumière des mécanismes universels du pouvoir :
• La manipulation du langage et de la mémoire : Napoléon et Brille-Babil falsifient l’histoire pour maintenir leur emprise sur les masses.
• L’usage de la terreur comme instrument de contrôle : Les purges rappellent les procès staliniens et la répression brutale des opposants.
• L’exploitation des travailleurs : Malabar incarne l’ouvrier fidèle, sacrifié par un régime qui ne lui accorde aucune reconnaissance.
• Le cycle des tyrannies : Les révolutions qui ne restent pas vigilantes finissent souvent par recréer les systèmes qu’elles ont combattus.
Orwell nous laisse avec une mise en garde poignante : sans conscience politique, sans esprit critique et sans vigilance, les sociétés peuvent sombrer dans les mêmes travers que ceux qu’elles avaient juré d’abolir.
Analyse historique, politique, économique, philosophique et sociologique des personnages de La Ferme des Animaux
1. Napoléon – Le dictateur absolu
Napoléon incarne Joseph Staline, le dirigeant soviétique qui, après la Révolution d’Octobre 1917, élimine ses opposants et instaure un régime totalitaire. Son ascension au pouvoir se fait par une combinaison de terreur, de ruse, de propagande et d’élimination physique des rivaux. À l’instar de Staline, il élimine Boule de Neige (Trotsky) et instaure une dictature en manipulant les masses.
Napoléon symbolise l’oppression d’une caste dirigeante qui exploite les travailleurs. Comme dans les sociétés capitalistes inégalitaires ou les régimes socialistes corrompus, il détourne les ressources pour son propre profit, creusant l’écart entre les dirigeants (les cochons) et la classe laborieuse (les autres animaux).
Il incarne l’adage de Lord Acton :
« Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument. »
Napoléon illustre aussi l’argument de Machiavel dans Le Prince : il se maintient par la peur plus que par l’amour, consolidant son autorité par la répression et la manipulation.
2. Boule de Neige – Le révolutionnaire idéaliste trahi
Boule de Neige représente Léon Trotsky, qui après la Révolution d’Octobre, prônait un communisme internationaliste et un développement industriel basé sur la modernisation. Son expulsion par Napoléon rappelle l’exil de Trotsky et son assassinat ultérieur par les agents NKVD de Staline.
Il incarne l’utopiste révolutionnaire persuadé que l’éducation et le progrès technique amélioreront la condition des masses. Mais son idéalisme est balayé par le pragmatisme brutal de Napoléon.
3. Brille-Babil – Le maître de la propagande
Brille-Babil est le reflet de la propagande soviétique sous Staline, représentée par des figures comme Molotov, Beria, Vorochilov ou la Pravda. Il distille des mensonges pour justifier l’autoritarisme de Napoléon et maintenir les animaux dans l’ignorance.
Il symbolise la manipulation de l’information par les régimes totalitaires, mais aussi par certains médias modernes qui façonnent la perception du public. Comme dans les régimes autocratiques ou les démocraties fragiles, il réécrit l’histoire et fabrique une réalité alternative.
Il incarne le concept orwellien de double-pensée développé dans 1984 :
« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force. »
Brille-Babil fait croire aux animaux que tout va bien, alors que leur situation se dégrade, une technique largement utilisée par les dictatures.
4. Malabar – Le travailleur aveuglé par l’idéologie ou Stakhanov
Malabar est le prolétariat exploité, celui qui croit sincèrement aux idéaux révolutionnaires, mais qui est trahi par ses dirigeants. Il représente le paysan ouvrier soviétique qui s’épuisait pour l’État sans jamais bénéficier des fruits de son travail.
Il illustre le sacrifice de la classe ouvrière dans les systèmes politiques oppressifs. Son destin tragique – envoyé à l’abattoir alors qu’il pensait être soigné – reflète la façon dont les régimes totalitaires épuisent leurs forces productives avant de les éliminer.
Son slogan « Je vais travailler plus dur » illustre la servitude volontaire analysée par Étienne de La Boétie :
« Les peuples ne sont asservis que parce qu’ils consentent à leur propre servitude. »
5. Benjamin – Le cynique passif
Benjamin représente les intellectuels ou les observateurs politiques qui voient les abus du pouvoir, mais ne réagissent pas. Il pourrait être comparé aux dissidents passifs des régimes autoritaires, tels que les penseurs qui ont assisté impuissants à l’ascension du nazisme ou du stalinisme.
Son pessimisme illustre le dilemme entre résignation et révolte. Il sait que le régime de Napoléon est corrompu, mais il estime que toute tentative de changement est vaine. Il incarne la philosophie de Schopenhauer sur le caractère cyclique de la souffrance et de l’oppression.
6. Sage l’Ancien – Le penseur révolutionnaire
Sage l’Ancien est une fusion entre Karl Marx et Lénine. Son discours incite les animaux à la révolte, mais il meurt avant de voir les conséquences de ses idées, laissant la place à des disciples qui trahissent son héritage.
Il incarne le penseur visionnaire dont l’idéologie est récupérée et dévoyée par des dictateurs. Son idéal d’égalité se transforme en une oligarchie brutale.
7. Moïse – La religion comme instrument de contrôle
Moïse, le corbeau, est l’Église sous le régime soviétique. Il prêche l’existence d’un paradis imaginaire (la Montagne de Sucrandi), apaisant la souffrance des animaux par la promesse d’un bonheur posthume, ce qui sert à calmer les révoltes potentielles.
Il incarne la manière dont la religion a été utilisée par les élites pour maintenir la soumission des masses, en leur offrant une espérance spirituelle en échange de leur docilité.
8. Les moutons – La masse manipulée
Les moutons, qui répètent « Quatre pattes, oui ! Deux pattes, non ! », illustrent le conformisme et la manipulation des foules par des slogans simplistes. Ils rappellent les masses endoctrinées par les propagandes fascistes, communistes ou populistes.
9. Mr. Jones – L’ancien régime corrompu
Mr. Jones symbolise le tsarisme en Russie avant la révolution bolchevique. Négligeant et incompétent, il perd le pouvoir à cause de sa mauvaise gestion, ce qui permet l’émergence d’un nouveau régime encore plus oppressif.
Conclusion : une allégorie universelle
La Ferme des Animaux est une satire du totalitarisme, mais elle transcende le contexte soviétique pour devenir un modèle d’analyse applicable à toutes les dictatures. Orwell met en lumière le cycle des révolutions trahies et démontre que la corruption du pouvoir est inévitable sans vigilance populaire.
La transformation des cochons en hommes illustre l’idée que les nouveaux maîtres finissent par ressembler aux oppresseurs qu’ils ont remplacés. Cette fable politique reste pertinente aujourd’hui, offrant une réflexion sur la manipulation des masses, la corruption du pouvoir et la nécessité de préserver les idéaux démocratiques.
La Guinée et La Ferme des animaux : une allégorie du pouvoir confisqué
Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a connu une succession de régimes politiques où l’enthousiasme révolutionnaire s’est systématiquement mué en autoritarisme. De Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, chaque transition a été marquée par l’illusion d’un renouveau, avant que la réalité ne rappelle la permanence des dérives du pouvoir. Orwell, à travers La Ferme des Animaux, met en lumière les mécanismes de la prise de contrôle, de la manipulation, de la terreur et de la confiscation des espoirs populaires. Ce récit trouve un écho troublant dans l’histoire guinéenne, où chaque leader s’est d’abord présenté comme un libérateur avant de perpétuer, voire d’aggraver, les pratiques qu’il dénonçait.
La libération de la ferme du joug de Mr. Jones symbolise la lutte anticoloniale menée par Sékou Touré et ses pairs. Comme les animaux chassent leur maître humain, les Guinéens rejettent la domination française en 1958. L’indépendance est vécue comme une rupture, une promesse d’autodétermination où chacun pourra enfin récolter le fruit de son travail. Sage l’Ancien, dans le roman, incarne cette vision utopique d’un avenir meilleur. Il inspire les animaux à croire en un monde nouveau, où les exploités prendront en main leur destin. Ce moment résonne avec le discours historique de Sékou Touré, prononcé le 25 août 1958 : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. » Mais très vite, comme dans le livre, cette promesse est trahie.
La disparition de Sage l’Ancien et l’affrontement entre Napoléon et Boule de Neige rappellent les luttes internes qui ont suivi l’indépendance. Boule de Neige, figure idéaliste et progressiste, prône une modernisation rapide, une gestion collective et la mise en place d’institutions démocratiques. Il incarne ces intellectuels et militants qui croyaient à une Guinée fondée sur le développement et la coopération. Napoléon, en revanche, n’a qu’un seul but : accaparer tout le pouvoir. Il élimine Boule de Neige, tout comme Sékou Touré a écarté ses compagnons de lutte, les accusant de conspirations imaginaires. Le Camp Boiro devient le symbole de cette purge systématique, où Diallo Telli et bien d’autres sont exécutés au nom d’une révolution qu’ils avaient eux-mêmes portée. Comme dans la ferme, le nouveau régime devient aussi oppressif que celui qu’il avait remplacé.
La répression atteint son paroxysme avec les pendaisons publiques du 25 janvier 1971, un événement sans précédent où des figures politiques et militaires, accusées de complot contre le régime, sont exécutées en public, leurs corps suspendus aux arbres et aux poteaux électriques pour terroriser la population. Ce jour-là, plusieurs ministres et hauts cadres du gouvernement guinéen sont assassinés, illustrant la brutalité avec laquelle Napoléon élimine toute forme de contestation dans La Ferme des animaux.
Le rôle de Brille-Babil dans La Ferme des animaux illustre un autre aspect fondamental du pouvoir en Guinée : la manipulation de l’information. Sous Sékou Touré, tout critique est dénoncé comme un agent de l’impérialisme, une menace pour la souveraineté nationale. Lansana Conté, arrivé au pouvoir après la mort de Sékou Touré, perpétue cette stratégie en maquillant ses échecs sous un discours paternaliste. Alpha Condé, qui se présentait comme un opposant historique au régime, adopte les mêmes méthodes en justifiant la répression de ses opposants par des théories de complot et de déstabilisation. Mamadi Doumbouya, qui a renversé Alpha Condé sous prétexte de restaurer la démocratie, utilise aujourd’hui la rhétorique de la “refondation” pour reporter les élections et maintenir la junte au pouvoir. Dans le roman, Brille-Babil convainc les animaux que, malgré leur souffrance, ils n’ont jamais été aussi libres, un mensonge répété par chaque régime guinéen pour légitimer son maintien au pouvoir.
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La répression violente des contestations est un autre aspect frappant du parallèle entre le roman et l’histoire guinéenne. Napoléon, une fois au sommet, instaure un climat de terreur. Il accuse sans preuve, force des aveux sous la contrainte et fait exécuter ceux qui pourraient remettre en cause son autorité. Ces purges rappellent les exécutions massives sous Sékou Touré, mais aussi la répression des manifestations sous Lansana Conté, Dadis Camara, Alpha Condé et Mamadi Doumbouya. Chaque fois que le peuple se soulève, la réponse est la même : violence, intimidation, arrestations arbitraires.
En 1985, après la tentative de coup d’État du Colonel Diarra Traoré, Lansana Conté ordonne un massacre sanglant, où de nombreux militaires et civils sont exécutés sommairement et jetés dans des fosses communes. Ce bain de sang, à l’image des purges de Napoléon dans le roman, rappelle que chaque régime guinéen a renforcé sa mainmise par la terreur.
Les massacres de 2006 et 2007 suivent cette même logique. Lors des grandes grèves nationales contre la corruption et le coût de la vie, l’armée guinéenne tire sur les manifestants, faisant des centaines de morts et de blessés. Napoléon, dans le livre, ordonne aux chiens d’attaquer les animaux qui osent contester son autorité ; en Guinée, les forces de sécurité ont toujours joué ce rôle d’exécuteurs au service du pouvoir.
La fin du roman est sans doute la plus symbolique de l’histoire guinéenne. Les cochons, qui avaient promis une société égalitaire, marchent désormais sur deux pattes et adoptent le mode de vie des humains. Ils traitent avec les fermiers qu’ils considéraient jadis comme des ennemis, et les autres animaux constatent avec stupeur qu’ils ne peuvent plus distinguer les cochons des hommes. Ce constat résume l’évolution politique guinéenne : chaque dirigeant arrive avec un discours de rupture, avant de reproduire exactement les pratiques de son prédécesseur.
Sékou Touré, en dénonçant la domination coloniale, a mis en place une dictature pire que celle qu’il avait combattue. Lansana Conté, après avoir promis une transition vers la démocratie, s’est enfermé dans la corruption et l’autoritarisme. Dadis Camara, arrivé au pouvoir en dénonçant les dérives du régime précédent, s’est lui-même enlisé dans la brutalité et l’ivresse du pouvoir. Alpha Condé, opposant historique, a fini par s’accrocher au pouvoir au mépris de la Constitution. Mamadi Doumbouya, qui se présentait comme un libérateur, gouverne aujourd’hui comme un autocrate.
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La Ferme des Animaux nous enseigne une leçon essentielle : la révolution n’a de sens que si elle est accompagnée d’un contrôle permanent du pouvoir par le peuple. En Guinée, les erreurs se répètent parce que le pouvoir, une fois conquis, n’est jamais rendu. Le peuple est utilisé comme un levier d’accession, avant d’être mis de côté dès que l’objectif est atteint.
Orwell nous met en garde contre la naïveté des masses face aux promesses des nouveaux dirigeants. Tant que les Guinéens accepteront que chaque leader confisque la révolution à son profit, l’histoire se répétera inlassablement. L’avenir du pays dépendra de la capacité de la population à ne plus voir les nouveaux dirigeants comme des sauveurs, mais comme des serviteurs du peuple, tenus responsables de leurs actes.
L’alternative n’est pas une nouvelle révolution qui amènerait encore un nouvel homme fort au pouvoir. L’alternative est une conscience politique forte, une exigence démocratique constante et une implication active du peuple dans la gestion de la cité. La Guinée ne changera que lorsque les citoyens refuseront de voir un autre Napoléon prendre le pouvoir en leur nom.
Alpha Bacar Guilédji
"Écrasons l’infâme"