Une tragédie évitable : le tournoi de N’Zérékoré, reflet des contradictions et des échecs du CNRD
02 déc. 2024Le drame du 1er décembre 2024 au stade de N’Zérékoré, causant officiellement 56 morts, n’est pas un simple accident tragique. Il est le symptôme d’une gouvernance marquée par des contradictions flagrantes, des négligences coupables et une instrumentalisation politique exacerbée. Organisé sous le label du « Tournoi de la Refondation », cet événement, prétendument apolitique, s’inscrit dans une série de manifestations sportives destinées à glorifier le CNRD, tout en défiant ses propres interdictions de rassemblements publics. Ce drame interroge non seulement la légitimité des décisions prises par le pouvoir, mais aussi sa capacité à protéger une population déjà éprouvée.
Le paradoxe des interdictions sélectives
Depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2021, le CNRD a imposé une interdiction stricte des manifestations publiques, justifiée par la nécessité de préserver la stabilité. Les communiqués successifs des 11 septembre 2021, 13 mai 2022, 24 décembre 2022, 4 septembre 2023 et 28 juillet 2024 ont réaffirmé cette ligne dure, interdisant les marches, rassemblements et mouvements de soutien, qu’ils soient politiques ou non.
Malgré les interdictions générales de manifestations publiques, des tournois tels que celui de N’Zérékoré, précédé par ceux de Labé (septembre 2024), de Conakry (octobre 2024), de Boké (septembre/octobre 2024), Kankan (novembre 2024), de Kindia (septembre 2024), de Kassa (novembre 2024, bien que finalement interdit par l’autorité locale), ou encore de Ninguilandé (novembre 2024), ont bénéficié d’une autorisation explicite et d’un soutien officiel. Ces événements, présentés comme des initiatives populaires visant à promouvoir l’unité nationale, ont été largement politisés, avec la présence systématique de hauts responsables du régime, tels que le Général Amara Camara, le ministre des Sports Kéamou Bogola Haba, et d’autres figures influentes.
Cette situation illustre une application sélective des interdictions de manifestations : alors que les rassemblements critiques ou perçus comme opposés au régime sont systématiquement réprimés, ceux qui soutiennent les objectifs politiques du CNRD sont non seulement tolérés, mais activement encouragés. Ce double standard, mêlant instrumentalisation politique et favoritisme, exacerbe les tensions sociales et politiques et nourrit une défiance croissante envers les autorités de transition.
Une infrastructure et une planification en déroute
Le choix d’organiser un tournoi de grande envergure dans le stade régional de N’Zérékoré en chantier depuis 2009, non homologué par la Confédération Africaine de Football (CAF), illustre une négligence institutionnelle manifeste. Ce stade, incapable de répondre aux normes de sécurité minimales, s’est révélé fatal pour les spectateurs. Les sorties de secours insuffisantes, l’absence de gestion des flux de foule et une supervision inadéquate ont transformé ce lieu en un piège mortel.
Pire encore, la tragédie aurait pu être évitée si des mesures préventives avaient été prises. Le déploiement des forces de l’ordre, au lieu de rétablir le calme, a aggravé la situation. Leur recours à des gaz lacrymogènes dans un espace surpeuplé a provoqué une panique généralisée, entraînant une bousculade meurtrière.
Une instrumentalisation politique dangereuse
Derrière l’apparence d’un tournoi sportif, le « Tournoi de la Refondation » et ses équivalents dans d’autres régions sont des outils de propagande déguisés. Dotés du « trophée Général Mamadi Doumbouya », ces événements visaient à renforcer la popularité du chef de la transition et à mobiliser les jeunes autour de son image. Cette politisation du sport, bien qu’habituelle dans des régimes autoritaires, alimente des divisions au sein de la société guinéenne et compromet l’unité nationale qu’elle prétend promouvoir.
À Labé, par exemple, des organisations de jeunesse ont dénoncé ces tournois comme une tentative d’intimidation politique. Le ministre des Sports, Bogola Haba, y avait même averti que ceux qui ne soutiendraient pas le CNRD « n’auraient rien », une déclaration perçue comme une menace implicite et une preuve supplémentaire de la politisation excessive.
Une gestion des foules désastreuse : une leçon oubliée du 28 septembre 2009
Le drame de N’Zérékoré résonne comme un sombre rappel du massacre du 28 septembre 2009, où des centaines de manifestants avaient été tués ou blessés au stade de Conakry. Bien que les contextes diffèrent, les similitudes sont frappantes :
- Infrastructures inadéquates : comme en 2009, un lieu non conforme a été utilisé pour un rassemblement massif.
- Violence des forces de l’ordre : une gestion brutale des foules, amplifiant les tensions au lieu de les apaiser.
- Absence de responsabilité : un manque systémique de prévention et de respect des normes.
Le drame de 2009 aurait dû servir de leçon pour éviter de telles tragédies. Mais la répétition des mêmes erreurs met en lumière un échec collectif à corriger ces failles.
Responsabilités et leçons urgentes
La tragédie de N’Zérékoré est le résultat de décisions irresponsables à plusieurs niveaux :
1. Les organisateurs : leur impréparation et leur négligence en matière de sécurité sont directement responsables des pertes humaines.
2. Les autorités locales et nationales : leur choix de privilégier des objectifs politiques au détriment de la sécurité témoigne d’une priorité mal placée.
3. Les forces de l’ordre : leur intervention chaotique a exacerbé la panique, aggravant le bilan humain.
Pour éviter de nouvelles catastrophes, il est impératif que le CNRD prenne des mesures claires et immédiates :
- Mettre fin à l’instrumentalisation politique des événements publics.
- Investir dans la modernisation des infrastructures, en priorité les stades et autres lieux de rassemblement.
- Former les forces de sécurité pour une gestion professionnelle des foules.
- Établir une enquête indépendante et rendre justice aux victimes, en tenant responsables les coupables de négligence.
Vers une transition encore plus fragile
Déjà critiqué pour ses retards dans le chronogramme de transition, son autoritarisme croissant et son incapacité à garantir la sécurité des citoyens, le CNRD voit sa légitimité s’éroder davantage. La sincérité de la « refondation » prônée par Mamadi Doumbouya est aujourd’hui plus que jamais remise en question. Le drame de N’Zérékoré risque d’aggraver la méfiance populaire, laissant le régime face à une crise de confiance majeure.
Conclusion : Une tragédie révélatrice et un appel urgent au retour à l’ordre constitutionnel
Le drame de N’Zérékoré est un rappel brutal des dérives d’un régime transitoire dépassé par ses contradictions et ses priorités mal placées. Pour que cette tragédie ne soit pas qu’une page sombre de plus dans l’histoire de la Guinée, le CNRD doit agir avec transparence, justice et responsabilité. La transition doit être menée à terme, avec un calendrier clair et une légitimité retrouvée par les urnes.
La Guinée mérite une gouvernance qui place la vie et la dignité de ses citoyens au-dessus des considérations politiques. Seul un retour rapide à l’ordre constitutionnel peut garantir la stabilité, la justice et l’avenir démocratique du pays.
Alpha Bacar Guilédji
"Écrasons l’infâme"