Simandou 2040 : quand la mine de fer se rêve miracle éducatif et culturel
30 nov. 2024Dans son article « Simandou 2040, éducativement et culturellement nôtre ! », Souleymane Bah, alias Souley Thiâ’nguel, dépeint une vision où exploitation minière et renouveau éducatif et culturel convergent pour le salut de la Guinée. Mais face aux réalités du terrain, cette vision ressemble plus à une utopie dorée qu’à une stratégie ancrée dans le réel. Revenons aux chiffres, aux faits, et à ce que Thiâ’nguel préfère ignorer.
1. Une crise éducative bétonnée dans les chiffres
Thiâ’nguel évoque une éducation alignée sur « notre culture, qui prend en compte notre réalité ». Voici la réalité :
- 83 % des enfants guinéens âgés de 10 ans sont incapables de lire ou comprendre un texte adapté à leur âge, contre une moyenne mondiale de 49 %.
- Le taux d’achèvement scolaire au primaire est de 63 % seulement (70 % pour les garçons et 56 % pour les filles). C’est bien en dessous de la moyenne régionale ouest-africaine, qui atteint 76 %.
- En milieu rural, 1 enfant sur 4 (25%) abandonne l’école primaire, souvent parce que la pauvreté ou l’absence d’infrastructures rend l’éducation inaccessible.
Ces indicateurs reflètent une éducation en panne. Rêver d’une éducation culturelle ancrée dans la tradition est noble, mais comment atteindre cet objectif quand les enfants ne maîtrisent même pas les bases ?
2. Une corruption endémique comme obstacle majeur
Thiâ’nguel semble croire que Simandou, en tant que méga-projet minier, apportera des fonds miraculeux pour revitaliser le système éducatif. Mais les données montrent qu’avant même d’espérer un tel miracle, il faudrait s’attaquer à la corruption qui gangrène ce secteur :
- 15 % des enseignants recensés sont fictifs, ce qui gonfle artificiellement les effectifs et permet des détournements massifs de fonds.
- 25 % des bourses étudiantes sont attribuées à des bénéficiaires fictifs ou non éligibles, privant les élèves réellement dans le besoin de cette aide précieuse.
- 30 % des manuels scolaires distribués n’atteignent jamais les écoles pour lesquelles ils étaient destinés, alimentant un marché noir lucratif.
Simandou pourrait rapporter des milliards, mais sans une gouvernance rigoureuse, ces milliards risquent simplement d’alimenter un système déjà défaillant.
3. Un sous-financement chronique et des budgets déséquilibrés
Thiâ’nguel exalte une vision ambitieuse pour l’éducation et la culture. Mais cette vision semble oublier que le secteur éducatif guinéen est l’un des moins financés d’Afrique de l’Ouest et son rêve éducatif se heurte à la réalité des priorités budgétaires :
4. La culture : un rêve sous-financé
Thiâ’nguel vante « un branding national qui puise dans notre textile, notre artisanat et notre tourisme ». Mais cette ambition culturelle se heurte à des réalités dures :
- Moins de 10 % des écoles primaires rurales disposent d’un programme d’éducation artistique et culturelle structuré, faute de budget et de formateurs spécialisés.
- Les artistes, qui devraient être au cœur de cette renaissance culturelle, ne bénéficient que de mesures symboliques et d’une aide sporadique. La loi sur la copie privée et les droits d’auteurs, souvent citée, reste largement inappliquée.
- Les infrastructures culturelles, comme les théâtres ou les musées, sont en ruine ou inexistantes, limitant l’accès de la population à leur propre patrimoine.
Pendant que Thiâ’nguel rêve d’un essor culturel, les acteurs du secteur peinent à survivre.
5. Souley Thiâ’nguel : un changement de ton révélateur
Ancien communicateur au sein de l’UFDG, Souley Thiâ’nguel est aujourd’hui un fervent défenseur du CNRD et de Mamadi Doumbouya, qu’il qualifie de « Colosse ». Ce virage idéologique soulève des interrogations :
Sa transformation illustre la trahison des intellectuels, selon Julien Benda, où les élites culturelles et intellectuelles abandonnent leur rôle critique pour servir le pouvoir en place.
En adoptant un discours laudatif, Thiâ’nguel passe d’une voix potentiellement réformatrice à une simple caisse de résonance du régime.
Conclusion : Simandou, du fer… et des rêves
Simandou 2040 pourrait représenter une opportunité unique pour la Guinée. Mais cette opportunité ne se concrétisera pas avec des discours vides et des slogans creux. Pour transformer réellement l’éducation et la culture, des mesures concrètes et courageuses sont nécessaires :
- Augmenter le financement public pour l’éducation et la culture, avec une cible minimale de 5 % du PIB.
- Instaurer une gouvernance rigoureuse et transparente, incluant des audits réguliers pour réduire la corruption.
- Revaloriser l’enseignement technique et artistique, afin de former une génération capable de répondre aux défis économiques et culturels.
- Réduire les dépenses militaires en limitant la part du PIB allouée à la défense à 1,5 %, un seuil adapté pour un pays en paix et sachant que la moyenne de la CEDEAO est de 0,98% PIB.
Simandou pourrait être une mine d’or, mais il ne doit pas devenir une mine de promesses non tenues. La Guinée mérite mieux que des illusions. Elle a besoin de leadership, de vision, et surtout d’actions mesurées et réalistes. Thiâ’nguel, fort de son expérience, a un rôle clé à jouer, à condition qu’il réoriente sa plume vers les besoins réels de la population plutôt que vers la glorification des puissants.
Alpha Bacar Guilédji
"Écrasons l'infâme"