Guinée : Institutions extractives, un frein à la prospérité
17 oct. 2024Les institutions économiques façonnent les incitations économiques : les incitations à s'instruire, à épargner et à investir, à innover et à adopter de nouvelles technologies, etc. C'est le processus politique qui détermine les institutions économiques dans lesquelles les gens vivent, et ce sont les institutions politiques qui déterminent le fonctionnement de ce processus
La Guinée, riche en ressources naturelles, notamment en bauxite, en or et en fer, devrait être l’un des pays les plus prospères d’Afrique de l’Ouest. Pourtant, elle fait face à des défis économiques et sociaux majeurs, exacerbés par une instabilité politique chronique. La récente prise de pouvoir par la junte militaire dirigée par le général Mamadi Doumbouya n’a fait qu’accentuer ces difficultés, laissant la population dans une situation d’incertitude. Pour comprendre les racines profondes de cette crise, il est pertinent de se tourner vers l’analyse des économistes Daron Acemoglu et James Robinson, récemment récompensés par le prix Nobel d'économie 2024 pour leurs travaux sur les institutions politiques et économiques. Leur ouvrage Why Nations Fail (traduit en français sous le titre Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres) fournit un cadre précieux pour comprendre la dynamique des institutions en Guinée.
Les institutions extractives au cœur du problème
Selon Acemoglu et Robinson, la clé de la prospérité ou de la pauvreté d’un pays réside dans ses institutions. Deux types d’institutions sont opposés : les institutions inclusives, qui permettent à l’ensemble de la population de participer à l’économie et à la vie politique, et les institutions extractives, qui concentrent le pouvoir et la richesse entre les mains d’une élite, au détriment de la majorité.
En Guinée, les institutions extractives ont dominé depuis l’indépendance en 1958. Que ce soit sous Sékou Touré, Lansana Conté, Alpha Condé ou actuellement sous la junte, les ressources du pays ont souvent été accaparées par une petite élite politico-économique. Cette concentration du pouvoir limite les opportunités d’innovation et de développement, laissant la majorité de la population dans la pauvreté. La gestion opaque des contrats miniers, notamment autour du projet Simandou, en est un exemple frappant. Les richesses générées ne se traduisent pas en développement durable ou en infrastructures, mais en enrichissement d'une poignée de privilégiés.
Le rôle crucial des institutions politiques
Les économistes soulignent également l’importance des institutions politiques pour garantir la prospérité. Des institutions politiques inclusives assurent un État de droit, une séparation des pouvoirs et une participation démocratique large. En revanche, les institutions politiques extractives, comme celles qui prévalent actuellement en Guinée, favorisent l’instabilité et l’accaparement des richesses par une élite au détriment du reste de la population.
En Guinée, les coups d'État fréquents et l'absence de processus démocratique stable ont renforcé les institutions extractives. La junte militaire en place contrôle les leviers de pouvoir, laissant peu de place à la société civile ou à l’opposition pour influencer la gouvernance du pays. Cela freine toute tentative de réforme vers des institutions plus inclusives, qui pourraient offrir un meilleur avenir économique.
Stagnation économique et blocage de l'innovation
Les institutions extractives, en plus de concentrer la richesse entre les mains de quelques-uns, créent un environnement qui décourage l’innovation et le développement. La Guinée, malgré ses vastes ressources, n’a pas vu de progrès significatif en termes de développement industriel ou technologique. Les barrières à l'entrée pour les nouveaux entrepreneurs sont élevées, et la corruption généralisée décourage les investisseurs étrangers.
Cette situation correspond à ce que Acemoglu et Robinson décrivent comme une "stagnation". Les élites en place cherchent avant tout à préserver leurs privilèges et bloquent toute tentative de renouveau économique. Cela conduit, à terme, à une implosion du système, à mesure que la population, fatiguée de la stagnation et de la misère, exprime son mécontentement.
Un potentiel de changement institutionnel
Pour éviter cet effondrement, la Guinée doit impérativement réformer ses institutions. Cela commence par la mise en place de structures politiques inclusives, permettant à une plus large part de la population de participer à la prise de décisions. Des élections libres et transparentes, une presse indépendante, et des mécanismes de contrôle du pouvoir sont autant de facteurs qui peuvent favoriser le développement d’institutions inclusives.
Acemoglu et Robinson soulignent que la prospérité ne peut être durable que dans un cadre institutionnel qui encourage l'innovation, protège les droits de propriété et assure la concurrence économique. En Guinée, cela signifie qu’il est temps de rompre avec les pratiques extractives qui ont marqué son histoire politique et économique, pour créer un État capable de soutenir l'initiative privée et d’encourager le développement.
Conclusion : Un choix à faire pour l’avenir
Le sort de la Guinée est loin d’être scellé. Si les dirigeants actuels de la junte optent pour une ouverture politique, en respectant leurs engagements de transition vers un pouvoir civil, il serait possible de poser les bases d’institutions plus inclusives, qui, à terme, pourraient sortir le pays du cercle vicieux de la pauvreté et de l’instabilité. Dans le cas contraire, le risque d’un effondrement économique et social, comme l’ont prévu Acemoglu et Robinson dans d'autres contextes similaires, devient de plus en plus réel.
Il appartient désormais aux dirigeants guinéens et à la société civile de choisir quel modèle institutionnel façonnera l’avenir du pays : celui de l’inclusivité et de la prospérité, ou celui de l’extractivisme et du déclin.
Alpha Bacar Guilédji
"Écrasons l’infâme"