Compte rendu de lecture : Les Oiseaux et les Fleurs de Azz-Eddin Elmocaddessi, traduction de Garcin de Tassy

L'auteur 

Azz-Eddin Elmocaddessi est un auteur mystique soufi du XIIIe siècle, dont la vie demeure largement méconnue. Son véritable nom n’est pas documenté, et « Azz-Eddin » est un titre honorifique signifiant « Gloire de la religion », tandis que « Elmocaddessi » signifie « originaire de Jérusalem », laissant entendre qu’il pourrait être né ou avoir vécu dans cette ville.

Il aurait été un imam et un prédicateur, connu pour son érudition et son éloquence. Selon certaines sources, il aurait prêché devant la Kaaba à La Mecque, et il était apprécié pour ses discours. Elmocaddessi serait décédé en 1280 (678 de l’Hégire) des suites d’une chute accidentelle.

Son œuvre la plus connue, « Les Oiseaux et les Fleurs », est un recueil d’allégories morales et mystiques, qui reflète les enseignements soufis à travers des symboles naturels. Ce texte, traduit en français par Garcin de Tassy en 1821, est un exemple classique de littérature soufie, utilisant la nature pour illustrer la quête spirituelle de l’homme vers Dieu.

Analyse de l’œuvre

L’auteur, Azz-Eddin Elmocaddessi, en tant que soufi, inscrit profondément son œuvre « Les Oiseaux et les Fleurs » dans la tradition mystique du soufisme. Cette philosophie spirituelle islamique met l’accent sur la quête de l’union avec Dieu, l’abandon de soi, la contemplation de la création divine, et la découverte de vérités cachées à travers des symboles et des allégories. Le soufisme utilise souvent des métaphores pour exprimer l’ineffable nature de l’expérience divine, et « Les Oiseaux et les Fleurs » en est une illustration parfaite, où chaque élément naturel symbolise un aspect de la relation entre l’âme humaine et le divin.

Le soufisme dans l’œuvre

Le soufisme cherche à transcender les limitations du monde matériel pour atteindre une forme d’extase spirituelle et d’union avec Dieu. Dans « Les Oiseaux et les Fleurs », cette quête se reflète à travers des allégories morales, où les oiseaux, les fleurs, et les éléments naturels deviennent des miroirs de l’âme, des guides vers l’ascension spirituelle. L’œuvre exprime des concepts profondément soufis, tels que l’annihilation de l’ego (fana), l’amour divin, et l’expérience directe de la présence divine.

1. L’allégorie et la recherche de l’union avec Dieu

Dans cette œuvre, chaque fleur et chaque oiseau représente un aspect de la quête spirituelle, que ce soit l’amour divin, la souffrance nécessaire pour atteindre Dieu, ou la beauté éphémère de la création. Azz-Eddin, en tant que soufi, utilise ces images pour illustrer la manière dont l’âme peut se purifier et s’élever vers Dieu en contemplant les signes de Sa présence dans la nature. Cela correspond à la notion soufie de Tawhid (l’unité de Dieu), où tout dans l’univers est perçu comme un reflet de l’unité divine.

Chaque créature occupe en effet le rang qu’elle doit tenir ; elle ne s’écarte jamais de la route qui lui a été tracée, et elle confesse la vérité des promesses et des menaces de Dieu.

Les Oiseaux et les Fleurs

Ce passage montre que chaque élément naturel, bien qu’apparemment simple, a une mission divine. Il reflète l’ordre cosmique qui conduit les croyants vers la reconnaissance de l’unité de Dieu.

2. L’anéantissement de l’ego (fana)

Le concept soufi de « fana », qui signifie l’annihilation du soi ou de l’ego dans la présence divine, est central à l’œuvre. À travers l’allégorie, Azz-Eddin montre comment les créatures naturelles, comme les fleurs, se soumettent à leur destin et se dissolvent dans l’ordre cosmique, une image de la dissolution de l’ego humain face à la grandeur de Dieu.

Mon corps est liquéfié et mon cœur est brûlé ; ma peau est déchirée et ma force se perd.

Les Oiseaux et les Fleurs

Cette image de la rose qui se transforme dans l’alambic est une métaphore directe du "fana". La rose, symbole de la beauté, est consumée et distillée, son essence étant libérée par le feu. Cette souffrance symbolise la purification nécessaire pour que l’âme puisse abandonner son ego et s’unir à Dieu.

3. L’amour divin comme moteur de l’existence

L’amour occupe une place centrale dans la tradition soufie, où l’amour divin est vu comme la force qui anime l’univers et qui attire l’âme vers Dieu. Dans l’œuvre, cet amour est souvent représenté à travers des images naturelles, comme le zéphyr ou le rossignol, qui symbolisent les messages et les soupirs des amants. Ces métaphores d’amour humain sont, dans la tradition soufie, des représentations de l’amour divin.

Fidèle messager des amants, je porte sur mes ailes les soupirs brûlants de celui qu’agite la maladie de l’amour.

Les Oiseaux et les Fleurs

Le zéphyr ici est une métaphore de l’amour divin. Il porte les soupirs des amoureux (l’âme et Dieu) et relie les cœurs enflammés par la quête spirituelle.

4. La fugacité de la vie et l’impermanence des désirs terrestres

Une autre idée centrale de l’œuvre est la fugacité de la beauté et de la vie. Dans la tradition soufie, le monde matériel est temporaire et illusoire, tandis que seule la quête de l’amour divin et l’union avec Dieu sont éternelles. Azz-Eddin exprime cette idée à travers des allégories comme celle de la rose, qui est à la fois belle et éphémère, ou du narcisse, qui sert les autres tout en gardant sa propre humilité.

Hâtez-vous de jouir du court espace de ma fleuraison, et souvenez-vous que le temps est un glaive tranchant.

Les Oiseaux et les Fleurs

Cette citation de la rose rappelle la fugacité de la vie humaine et l’importance de se concentrer sur la quête spirituelle avant que le temps ne vienne tout faucher. Cela reflète la pensée soufie selon laquelle le monde matériel est une distraction, et que seule la recherche de l’amour divin est digne d’attention.

5. La contemplation mystique à travers la nature

Un autre élément central dans la tradition soufie est l’idée que la nature est un reflet des mystères divins. En contemplant les éléments naturels, l’âme humaine peut accéder à une connaissance plus profonde de Dieu. Chaque fleur, chaque oiseau dans l’œuvre d’Azz-Eddin, est une métaphore de la manière dont Dieu se manifeste dans le monde et guide les âmes à travers des signes cachés.

En s’élevant à la source du sentiment et de l’être, elle [l’âme] y perd sa sécheresse et sa langueur ; elle y renaît, elle y trouve un nouveau ressort, elle y puise une nouvelle vie.

Les Oiseaux et les Fleurs

Dans ce passage, l’âme trouve sa vitalité en contemplant les signes de Dieu dans la nature. Cette renaissance symbolique est un aspect clé du cheminement spirituel soufi, où la contemplation permet de dépasser les illusions terrestres pour accéder à une réalité divine.

6. Le langage symbolique des fleurs et des oiseaux

Toute l’œuvre est construite autour d’un langage allégorique, où les fleurs et les oiseaux ne sont jamais simplement ce qu’ils semblent être. Ils sont des symboles des différents états de l’âme dans sa quête de Dieu. Cette manière de penser est typiquement soufie, où les objets terrestres ne sont que des manifestations de réalités spirituelles plus profondes. Chaque oiseau, chaque fleur a son rôle dans la grande fresque cosmique, guidant l’âme à travers différentes étapes de son voyage spirituel.

J’ai composé mon ouvrage pour expliquer les différentes allégories que les animaux, les végétaux, et même les corps inorganiques, ont offertes à mes méditations.

Les Oiseaux et les Fleurs

Conclusion

Azz-Eddin Elmocaddessi, en tant que soufi, crée dans « Les Oiseaux et les Fleurs » une œuvre allégorique où chaque élément naturel, qu’il s’agisse de fleurs ou d’oiseaux, est une métaphore de l’expérience mystique et du chemin spirituel vers Dieu. L’amour divin, l’anéantissement de l’ego, la contemplation, et la souffrance sont tous des thèmes profondément enracinés dans le soufisme, que l’auteur illustre avec une poésie subtile et des images symboliques. En contemplant la nature, Azz-Eddin nous montre que nous pouvons comprendre les vérités cachées de l’univers et progresser sur la voie de l’union avec le divin.

Alpha Bacar Guilédji

« Écrasons l’infâme »

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