Revenir.L'Afrique au cœur de Mamadou Aliou Barry
22 avr. 2024Contrairement à mes habitudes, je reprends le résumé de couverture comme axes synthétiques, car il est fidèle à la compréhension que je me fais de l'essai après lecture.
« Ce livre est le témoignage d’un parcours personnel et professionnel d’exilé. Le temps et l’expérience enseignent que cette double appartenance et la fréquentation d’univers aussi multiples qu’opposés sont d’authentiques sources d’enrichissement humain. L’auteur a l’espoir que son expérience profitera ainsi aux générations d’immigrés en France qui méconnaissent souvent l’histoire et les enjeux politiques de leur pays d’origine. Et susciter chez eux le désir de se réapproprier pleinement leur culture et de contribuer à l’avenir de leur pays. »
« Et si la jeunesse africaine réalisait que partir n’est pas la meilleure solution ? Les jeunes de Guinée devraient revenir, sinon rester, et se battre pour faire de leur nation une démocratie digne de ce nom où il fait bon vivre. »
Au fil des pages
Au fil des pages de son essai, l'auteur nous plonge dans son enfance et son éducation à Dalaba, une petite ville guinéenne des années 1960. Il évoque sa fascination pour Sékou Touré, sans réellement comprendre la nature dictatoriale et sanguinaire de son régime, une réalité méconnue de la plupart des Guinéens de l'époque. Issu d'une grande famille peule du Fouta-Djalon, son éducation est façonnée par la présence d'une mère aimante, d'un père fonctionnaire, et par son apprentissage à l'école coranique, étape importante dans la société peule de l'époque. Il souligne :
Je pense que la réputation d'intelligence des Peuls est due en partie à ces écoles où les enfants développent très tôt leur mémoire et leur attention, et apprennent à lire avant même d'entrer à l'école publique.
Ensuite, il dépeint le temps des désillusions face à l'incurie de la gouvernance du PDG, au délitement des valeurs ancestrales, à la désorganisation de l'éducation nationale sous l'emprise de la propagande et des décisions ubuesques du régime :
« Quoi qu'il en soit, la destruction méthodique des structures culturelles de la Guinée est l'un des plus grands crimes de Sékou Touré, et le plus durable, car il a rompu une chaîne de transmission impossible à reconstruire à posteriori », et plus loin : « Le mérite et l'excellence personnels auxquels les parents étaient tentés de pousser leurs enfants étaient déconsidérés, au profit de la fidélité au parti et aux idéaux égalitaristes. L'assiduité aux préparatifs des manifestations culturelles était récompensée par l'admission automatique dans la classe supérieure. »
L'auteur décrit ainsi la vie sous le joug d'une dictature avec la suppression des libertés fondamentales :
« Le principe de primauté du parti étant déclaré, la pluralité d'opinion et d'organisation se trouvait proscrite, "inutile", puisque le parti démocratique de Guinée régissait tous les actes de notre vie quotidienne. » (Page 35). Il ajoute également : « Une simple carte postale reçue de l'étranger suffisait à envoyer quelqu'un en prison pour complicité avec un "traître à la patrie", un "renégat", un "contre-révolutionnaire". » (Page 50).
Face à ce tableau de désespoir et de misère, l'auteur, comme des milliers d'autres Guinéens, se résout à l'exil. Il le vit comme un déchirement, une entreprise dangereuse et potentiellement mortelle à l'époque, sans parler des éventuelles conséquences pour sa famille et ses amis. Après un premier séjour en Côte d'Ivoire, interrompu par un retour en Guinée après six mois en raison de son attachement à sa mère, il émigre finalement en France :
Je tenais à fuir à tout prix la misère matérielle et intellectuelle, la répression qui était notre lot en Guinée. À peine avais-je franchi la frontière que j'avais ressenti douloureusement l'absence de ma mère, et depuis l'arrivée de mon frère et notre discussion, mon esprit et mon cœur étaient perturbés.
Son arrivée et son installation en France ne se font pas sans tracasseries et complications diverses, le régime giscardien ayant durci les modalités de séjour suite au premier choc pétrolier et à la crise économique.
Finalement, après la régularisation de sa situation administrative, l'auteur reprend ses études à l'UIT de Sceaux, où il a pour professeur le socialiste Lionel Jospin. Cette rencontre et les discussions qui suivent lui ouvrent les yeux sur les réalités de la coopération française et de la Françafrique. (Pages 80-81).
Après sa réintégration à la nationalité française, il effectue son service militaire et finit par s'engager dans l'armée par concours, à l'École des officiers du Corps technique et administratif de Coëtquidan. Il fait l'expérience de la discrimination et du racisme rampants, malgré les valeurs d'égalité prônées par l'armée, qui ne sont pas toujours suivies par son personnel :
Comment ne pas sentir son identité bafouée, menacée dans un environnement hostile, un monde que l'on a choisi et où pourtant l'on nous fait nous sentir orphelin, toujours étranger, intrus ?
Mais « animé d'une volonté farouche de réussite (...), il fera fi de cette atmosphère... », il ne baissera pas les bras et continuera à se former. En 1995, il obtient un DESS en option sécurité et défense à la faculté de droit de l'université de Toulon. Au sein des armées, il constate l'échec de la coopération militaire franco-africaine qui,
(...) encore aujourd'hui, est entièrement pilotée par les militaires des troupes de Marine dont la vision de l'Afrique date de l'époque coloniale.
L'auteur souligne également l'hypocrisie entourant l'aide internationale, conçue pour maintenir les pays dans le besoin d'être aidés, sans réformer leurs dysfonctionnements ni combler leurs lacunes, car ce sont autant d'opportunités stratégiques pour les pays "bienfaiteurs" d'accroître leur prestige international et de conserver leur influence sur les choix politiques et économiques des pays aidés. (Page 123).
Confronté au fameux plafond de verre au sein des armées, l'auteur finit par démissionner pour être reversé dans la fonction publique où il occupera de hautes fonctions. L'appel intime du pays natal se faisant de plus en plus prégnant, devenu un expert reconnu en sécurité, défense et droits de l'homme, il arpente les chemins de plusieurs pays africains en situation de conflit. Il profite de la nomination de Lansana Kouyaté comme Premier ministre en 2007, après la grave crise de cette année-là, pour venir se mettre au service de la Guinée. Cette crise, marquée par une grève générale réprimée par l'armée, se solde par des centaines de morts et des milliers de blessés civils.
Ce retour au pays natal représente une satisfaction personnelle pour l'auteur, mais il est vite rappelé à la dure réalité guinéenne. En effet, suite à la mort soudaine de Sékou Touré en 1984, l'armée, dirigée par le Colonel Lansana Conté, mène un coup d'État et plonge le pays dans une spirale de corruption et de désolation. L'auteur constate :
Je ne tarderai pas à m'apercevoir que son empreinte persistait, et persisterait durablement, partout dans le pays. Car le fou avait tenu sa promesse : il avait donné naissance au Guinéen nouveau. Après avoir détruit toutes les racines, les coutumes, les liens familiaux, les valeurs sociales et culturelles des Guinéens, partout jusque dans le plus petit village du Foutah, il avait planté à la place l'inculture, la médiocrité, l'avidité, la corruption…
Aussi, il constate la diffusion de l'idéologie wahhabite au sein d'une jeunesse désœuvrée et un État en déliquescence à travers les financements des pays du golf persique. L'auteur souligne : " Le système de valeurs et de référence n'est plus celui de la tradition inscrite dans l'histoire et le passé des groupes ethniques." (Pages 175-176-177)
Malgré ce désenchantement, l'auteur remarque une lueur d'espoir avec le retour de jeunes Guinéens formés à l'étranger. Il s'attelle à la création de l'Observatoire National des Droits de l'Homme (ONDH) et travaille dans le service pénitentiaire sous la responsabilité du Premier ministre Lansana Kouyaté. Suite à l'échec de ce dernier et son limogeage, c'est le Premier ministre Souaré qui prend un arrêté pour la création de l'ONDH.
En tant que défenseur des droits de l'homme, l'auteur est témoin des événements du 28 septembre 2009 et participera à l'enquête de la Commission internationale de l'ONU. Par la suite, lui-même est victime de graves violences : il est blessé par balle au pied et a un bras fracturé par la garde prétorienne du Général Konaté. Il est évacué à Paris pour y recevoir des soins.
Mamadou Aliou Barry
Revenir. L'Afrique au cœur
Éditions Descartes et Cie