Les violences en Guinée
23 août 2023La violence est consubstantielle à l'État guinéen. En vérité, l’histoire de notre pays se confond largement avec celle de la violence à caractère politique exercée par divers acteurs, bien que la responsabilité des forces de défense et de sécurité soit foncièrement prépondérante. Depuis la colonisation, en passant par la lutte pour l’indépendance et la décolonisation, jusqu’à la construction de la Guinée moderne, la violence a toujours été présente.
Que n’a-t-on pas dit sur les causes de cette violence étatique en Guinée ? La cruauté des uns, les compromissions des autres, l’influence étrangère, l’ethnicité, le malheur des ressources minières... Mais je crois que "le ver était dans le fruit dès le départ" et il se pourrait qu’il y ait une part de vérité dans chacune des raisons invoquées ci-dessus.
Cependant, les causes actuelles de cette violence sont triviales et résultent de décennies d’abêtissement, d’abrutissement, de mensonges, de propagande, d’impunité, et/ou de l’élimination et l’exil de l’élite intellectuelle civile et militaire. Quelqu’un a dit tout récemment, à juste titre, que "95 % de l’histoire de notre pays est falsifiée", et il n’a pas tort sur ce point précis. Il est très difficile, dans ce cadre, de faire entendre une autre voix, car l’être humain s’habitue à tout, y compris à l’injustice, à l’arbitraire et aux atrocités. Malheureusement.
En lisant ces quelques lignes du roman de Mario Vargas Llosa, La Fête au Bouc, vous vous rendrez compte que les tyrannies se ressemblent toutes et produisent les mêmes conséquences. Je me suis permis de mettre entre parenthèses deux mots dans le texte : Sékou Touré (c'est valable pour Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté, Alpha Condé, Mamadi Doumbouya) et Guinéens, pour mieux marquer le parallèle entre la République Dominicaine, où se déroule le récit du roman, et la Guinée. Voici un dialogue entre un père, grand intellectuel probe à ses débuts, qui, in fine, sera perverti par la dictature, et sa fille ayant émigré aux États-Unis :
- Comment était-ce possible, papa ? Qu'un homme comme Froilan Arala, cultivé, expérimenté, intelligent, en vienne à accepter ça. Qu'est-ce qu'il leur donnait, pour transformer don Froilan, Chirinos, Manuel Alfonso, toi, tous ses bras droits et gauches, en chiffes molles ?
Tu ne comprends pas cela, Urania. Il y a beaucoup de choses de l'Ere que tu as fini par tirer au clair; certaines, au début, te semblaient inextricables, mais à force de lire, d'écouter, de comparer et de penser, tu es parvenue à comprendre que tant de millions de personnes, sous le rouleau compresseur de la propagande et faute d'information, abruties par l'endoctrinement et l'isolement, dépourvues de libre arbitre, de volonté, voire de curiosité par la peur et la pratique de la servilité et de la soumission, aient pu en venir à diviniser Trujillo (Sékou Touré). Pas seulement à le craindre, mais à l'aimer, comme des enfants peuvent aimer des pères autoritaires, se convaincre que les châtiments et le fouet sont pour leur bien.
Ce que tu n'as jamais réussi à comprendre, c'est que les Dominicains (guinéens) les plus chevronnés, les têtes pensantes du pays, avocats, médecins, ingénieurs, souvent issus des meilleures universités des États-Unis et d'Europe, sensibles, cultivés, expérimentés et pleins d'idées, probablement dotés d'un sens développé du ridicule, de sentiment et de susceptibilité, aient accepté d'être aussi sauvagement avilis (ils l'ont tous été au moins une fois) comme ce soir-là, à Barahona, don Froilan Arala.
Dès lors, rien de surprenant dans les comportements de beaucoup de nos concitoyens et c'est pourquoi, nous devons encore lutter et faire nôtres, ces quelques préceptes de Gandhi, en espérant que ce changement de mentalité et de gouvernance tant nécessaire, advienne au plus tôt:
Beaucoup de gens, surtout les ignorants, veulent te punir parce que tu dis la vérité, pour être correct et d'être des années en avance sur ton temps. Si tu a raison et que tu le sais, laisse parler ton esprit, même si tu n'es qu'une minorité, la vérité reste toujours la vérité.
Tout compromis repose sur des concessions mutuelles, mais il ne saurait y avoir de concessions mutuelles lorsqu'il s'agit de principes fondamentaux.
Quand je désespère, je me souviens que tout au long de l'histoire, la voix de la vérité et de l'amour a toujours triomphé ; Il y a eu dans ce monde des tyrans et des assassins, et pendant un moment ils peuvent sembler invincible, mais à la fin, ils tombent toujours.
Quelques uns me diront que c'est de l'utopie et de la naïveté mais l'évolution positive du monde n'a été que le résultat du travail et du sacrifice de quelques utopiques. L'histoire est têtue, dit-on !